Jean-Corentin CARRÉ

 LE PLUS JEUNE POILU DE LA GRANDE GUERRE

ENGAGÉ A QUINZE ANS, HÉROS A SEIZE, TUÉ A DIX-HUIT

Jean-Corentin CARRÉ naquit le 9 janvier 1900. Ses parents originaires du Finistère, étaient venus se fixer au Faouët peu avant sa naissance. Le petit Jean grandit parmi les gamins du village. C'était enfant doux, sauvage, un peu timide, un petit breton silencieux mais tenace.

A douze ans, le gamin quitte l'école. Mauvais élève ? Non pas. Un enfant très doué au contraire et si studieux que sa famille sur les conseils de son instituteur, M. MAHÉBÈZE, songe à faire de lui un fonctionnaire. Au lieu de vivre courbé sur la terre, comme son père, il ira à la ville où il connaîtra l'existence plus douce des commis de perception. Mais Jean-Corentin aime sa lande natale. Il tient de ses ancêtres le goût des aventures et des voyages. Renoncera-t-il au ciel gris de sa Bretagne pour courir le monde ? La perspective de passer ses jours dans un bureau ne le tente guère. Il a quatorze ans quand, un beau jours d'été, le tocsin sonne. Que se passe-t-il ?

- C'est la guerre petit ! la guerre !

Quelles images ce mot peut-il faire surgir dans l'âme du gamin ?

- Je vais m'engager !

La guerre n'est pas l'affaire des enfants.

Les semaines passent. Les mois. Tandis que la guerre fait rage, Jean-Corentin CARRÉ, qui ne rêve que de combats et de prouesses, doit rejoindre dans les Basses-Pyrénées son poste de commis à la perception. Ce métier de bureaucrate, qui ne le tentait guère en temps de paix, lui devient odieux en temps de guerre. Un jour, n'y tenant plus, il écrit au secrétaire de la mairie du Faouët en lui demandant l'acte de naissance de son frère qui vient d'avoir dix-sept ans. L'enfant terrible, qui n'a que quinze ans, espère, grâce à cette pièce, pouvoir s'engager sous le nom de son aîné. Mais le secrétaire de la Mairie, qui a flairé la ruse, refuse la pièce d'état civil tant convoitée. Que faire ?

Jean ne perd pas l'espoir d'aller se battre. Un matin d'avril 1915, le commandant du bureau de recrutement de Pau voit se présenter devant lui un beau et solide gaillard qui lui déclare :

-         Je veux m’engager pour la durée de la guerre.

-         Votre nom ?

-         Auguste DUTHOY.

-         Vos papiers ?

-         Je les ai perdus. Je viens des régions envahies. Je ne sais pas ce que sont devenus mes parents.

Le commandant regarde d’un oeil méfiant le nouveau venu. Le garçon est solide, râblé, bien d’aplomb (il mesure 1,58 m). S’il n’a pas un poil de barbe au menton, il paraît bien avoir dix-sept ans. Il a le visage ouvert, le regard fier.

-         C’est bien ! Dit-il. Signe ces papiers.

 

Tremblant de joie, Jean-Corentin inscrit son nom d’emprunt sur les pièces administratives. Jean-Corentin CARRÉ -  alias Auguste DUTHOY - qui n’a que quinze ans, trois mois et dix-huit jours, vient de remporter sa première victoire. Il est engagé au sein du 410ème RI de Rennes ! Il rejoint le front le 20 octobre 1915, à 15 ans et 9 mois. Une vie extraordinaire va commencer.

Six mois plus tard, Jean-Corentin CARRÉ, qui a annoncé à sa famille qu’il partait pour l’Amérique, reçoit le baptême du feu. C’est à Sainte-Menehould. Le combat fait rage. Le 27 octobre, à dix heures du soir, le petit Jean, qui s’approche des lignes, est pris dans une rafale de fer et de feu. Le ciel craque de toutes parts. Des flammes déchirent la nuit. La gamin, abasourdi, perdu, est jeté à terre par des déflagrations d’obus. Il se relève, poursuit sa route, tandis que les hommes tombent autour de lui.

Enfin l’orage s’apaise. Jean s’assied à l’écart et griffonne sur un morceau de papier : « Je n’ai pas eu peur ! » C’est le premier billet qu’il enverra à ses amis.

A partir de ce jour, Jean-Corentin CARRÉ tient son journal sur un cahier d’écolier. Affecté à la 9ème compagnie du 410ème régiment d’infanterie, il monte pour la première fois dans les tranchées de première ligne le 15 novembre 1915. Il neige, le jeune soldat, transit de froid, plie sous le lourd barda qui lui brise les épaules. Des signaux rouges éclaboussent la nuit dont il faut connaître la signification. On demande des volontaires pour une patrouille de reconnaissance. Jean-Corentin se présente. Chouette ! On lui confie sa première mission :

« Je pars seul, baïonnette au canon, quelques cartouches dans les poches. Je traverse les tranchées défoncées et a demi comblées de cadavres. Je dois piétiner les blessés et les morts. On s’est durement battu là, à l’arme blanche. Les corps sont entassés pêle-mêle. Là un français qui tient encore son fusil cassé. A côté de lui un Boche qu a eu le crâne fracassé. Un autre Boche est étendu sur lui, une épée enfoncée dans le ventre. Je passe. J’approche des lueurs rouges. Une ombre surgit. Je tire. Touché ! L’homme est abattu. Au même instant, les 75, derrière moi, commencent le feu. C’est un vacarme infernal. J’ai tout juste le temps de rentrer au PC où les capitaine me félicite. »

Et le récit continue.

C’est la tragique histoire de la guerre de tranchées, avec tous ses dangers, toutes ses souffrances. Jean-Corentin est de tous les « coups durs ». On le retrouve toujours là où la lutte fait rage. Il est de Verdun, comme il a été de tous les secteurs meurtriers dont les noms sont passés dans l’histoire. Il ne compte plus ses citations. Mais Verdun, c’est l’enfer. Le gamin héroïque se surprend à pleurer. C’en est trop pour ses seize ans ! Il a avoué son héroïque supercherie à sa famille. Il écrit souvent à ses parents et à ses frères. De Verdun, il leur envoie ces mots : « Nous repartons pour le champ de bataille. Adieu à tous les êtres chers avant d’entrer dans la tuerie. ».

Le champ de bataille, c’est Douaumont, le ravin de la mort. C’est là qu’il reçoit sa première blessure, ses premiers galons, sa croix de guerre.

Dans le journal, nous trouvons cette simple mention : « 19 juin. Je suis nommé sergent ». Le sergent DUTHOY a 17 ans tout juste. Le jour de son anniversaire, il écrit à son colonel qui s’est toujours montré bon pour lui : « Depuis ce matin, j’ai l’âge d’être soldat. Je dois vous faire un aveu:  le sergent DUTHOY s’appelle en réalité Jean-Corentin CARRÉ. Pardonnez-moi et permettez-moi de reprendre mon véritable nom ».

Le colonel pardonne. Mais l’administration militaire est intransigeante. DUTHOY disparaissant, Jean-Corentin CARRÉ doit rendre ses galons. De sergent promu adjudant, le voilà redevenu 2ème classe ! Mais le colonel ne perd pas de vue l’ex-DUTHOY et, quelques semaines plus tard - tout juste le temps de régulariser les écritures - il y a un adjudant CARRÉ au 410ème régiment d’infanterie.

Jean-Corentin remonte en lignes. Nouvelles souffrances, nouvelles prouesses, nouvelle gloire. Lisez cette citation : « Sous-officier d’une admirable bravoure, s’est engagé à quinze ans sous un nom d’emprunt pour aller au feu plus tôt. Toujours volontaire pour les missions les plus périlleuses, a donné lors des attaques d’avril et de juin 1917, de nouvelles preuves de sa vaillance ».

Jean-Corentin a soif d’héroïsme. La vie des tranchées ne lui suffit plus. Ce qu’il veut c’est combattre dans le ciel. Une occasion s’offre à lui. On demande des volontaires pour l’aviation. Jean-Corentin se présente. On l’accepte d’enthousiasme. Il est breveté pilote le 9 septembre 1917 à l’issue de son stage effectué à l’école d’Avord.

Avant de quitter le 410ème, une grande joie lui est réservée. Le général commandant la division l’invite à sa table. Quel triomphe pour le petit gars qui avait dû cacher son nom pour aller se battre ! Baptême de l’air, baptême du feu dans les nuages, Jean-Corentin devient un « As ». Mais déjà l’ombre de la mort pèse sur lui.

En 1918, il vient en permission au Faouët. Il est sombre. Avant de repartir, il grave avec son couteau sur le bois de la table familiale : « CARRÉ Jean, tué le 22 mars ». A-t-il un pressentiment ? Il ne s’est trompé que de quatre jours. Le 18, il tombe, frappé en plein ciel, comme GUYNEMER, et il meurt avec cette belle citation à l’ordre de l’armée : « Adjudant CARRÉ, Jean-Corentin, du 410ème régiment d’infanterie, pilote à l’escadre SO* 229, attaqué par trois avions ennemis le 18 mars, s’est défendu énergiquement jusqu’à ce que son appareil soit abattu, l’entraînant dans une mort glorieuse ».

Ainsi finit, en pleine gloire, un petit gars de Bretagne, au coeur généreux et à l’âme fière et qui, à peine sorti de l’enfance, prit place parmi les héros légendaires de la grande tuerie.

* SO est l’abréviation de Sopwitch.

Sources:

-         Article de Jean-Paul SYLVESTRE, paru dans « Arpète Toujours » n° 67, Septembre 2003.

-         Article de Yann LORANZ paru dans « Paris-Soir » du samedi 6 mai 1939, la veille de l’inauguration du monument érigé à la mémoire de Jean-Corentin CARRÉ.

 

 

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